À la différence de nombreux rythmes musicaux ivoiriens qui prennent naissance en Côte d’Ivoire avant de se diffuser ailleurs, le coupé-décalé émerge d’abord en France, puis gagne la Côte d’Ivoire avant de se répandre davantage sur le continent africain.
Serge Beynaud. (Photo) : www.viberadio.sn
Ses origines
Le coupé-décalé voit le jour en France au début des années 2000. Il prend forme lorsque de jeunes Ivoiriens résidant à Paris et dans sa périphérie commencent à savourer la vie en fréquentant les discothèques africaines lors de sorties nocturnes.
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Le coupé-décalé est né de leur désir de se démarquer par leurs tenues élégantes, leurs bijoux étincelants, leurs voitures luxueuses et surtout par leur style de danse unique. Ces jeunes Ivoiriens ont une préférence marquée pour les vêtements de marque, souvent très ajustés. En discothèque, ils se surnomment La Jet-set afin de se distinguer des autres groupes de fêtards ivoiriens déjà présents.
La Jet-set comprend alors Douk Saga, Le Molare, Lino Versace, Serge Defalet, Boro Sangui, Solo Béton, Chacoule, L’As des As, Abdoul de Bamba… Lors de leurs sorties nocturnes dans des discothèques telles que l’Atlantis et l’Alizée Night Club, ils dépensent des sommes considérables en bouteilles de champagne et en dons aux artistes qui se produisent. Cette pratique de donner de l’argent aux artistes pendant leurs performances est appelée « travaillement ».
Après quelques mois, le mode de vie fastueux et ostentatoire de la Jet-set devient tendance au sein de la diaspora ivoirienne à Paris. De nombreux noctambules imitent leur style de danse, leurs tenues vestimentaires et leurs dépenses extravagantes en discothèque. Les frasques nocturnes de la Jet-set parviennent aux oreilles de David Monsoh, un producteur de musique. Celui-ci décide de traduire ce phénomène en musique. Pour ce faire, il approche les membres de la Jet-set et leur propose son idée. D’abord réticents, les membres finissent par accepter sa proposition.
Douk Saga, une figure emblématique du mouvement, est encouragé par ses amis à se rendre en studio. David Monsoh fait alors appel à l’arrangeur David Tayorault, qui crée une mélodie avant même que Douk Saga n’enregistre son premier morceau. Le premier titre de Douk Saga est intitulé « Sagacité » et, en studio, plusieurs artistes ivoiriens, tels que Julien Goualo et Petit Denis, contribuent à l’enregistrement. Après Douk Saga, Lino Versace, Boro Sangui, Solo Béton, Le Molare et Serge Defalet produiront également des albums.
Sa montée
En 2002, avant même que l’album « Sagacité » de Douk Saga ne sorte, avant même que les pionniers du coupé-décalé n’arrivent à Abidjan pour promouvoir leur concept, toute la Côte d’Ivoire est déjà en train de danser au rythme du coupé-décalé. Des DJs comme Dj Jacob, Erickson le Zulu et bien d’autres ont déjà adopté le concept et font vibrer tout Abidjan, ainsi que toute la Côte d’Ivoire. Ces premières chansons coupé-décalé s’inspirent fortement de la musique congolaise et de divers genres musicaux ivoiriens. Certaines chansons sont de véritables mosaïques de plusieurs rythmes musicaux.
Le mouvement coupé-décalé est en plein essor auprès de son public lorsque, le 19 septembre 2002, une tentative de coup d’État en Côte d’Ivoire se transforme en une rébellion armée. Le pays est alors scindé en deux zones antagonistes : le nord, contrôlé par la rébellion, et le sud, sous l’autorité du gouvernement. Des mesures d’urgence et un couvre-feu sont instaurés. Les Ivoiriens, coutumiers de faire la fête dans les maquis, les bars et les boîtes de nuit jusqu’au bout de la nuit, se voient contraints d’interrompre leurs festivités à l’heure du couvre-feu pour regagner leur domicile.
De manière paradoxale, au lieu de freiner l’essor du coupé-décalé, ces événements socio-politiques le stimulent davantage. Des artistes de ce mouvement s’en inspirent pour créer des succès musicaux. Pour maintenir leur clientèle, les propriétaires de boîtes de nuit, de bars et de maquis en plein air organisent des soirées diurnes.
À Abidjan, les sorties ne se limitent plus à la nuit, mais prennent désormais place en plein jour. Avant que le couvre-feu ne tombe, les fêtards investissent les discothèques pour danser jusqu’au petit matin sur les rythmes endiablés du dernier coupé-décalé. Dans cet élan festif, tous les grands maquis de Yopougon, le quartier le plus animé d’Abidjan, diffusent du coupé-décalé à plein volume chaque après-midi jusqu’au couvre-feu.
Les rythmes aériens du coupé-décalé et ses mouvements de danse apaisent l’âme en cette période tumultueuse de l’histoire ivoirienne. Ainsi, en août 2003, lors de l’arrivée de Douk Saga à Abidjan pour la promotion de son premier album « Sagacité », il est accueilli en héros. Les artistes du coupé-décalé sont rapidement sollicités à l’étranger.
Douk Saga, Le Molare et les autres danseurs de coupe-décalé parcourent l’Afrique noire francophone. Ils remplissent des stades en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale et ailleurs. Les cachets de ces vedettes du genre se négocient à prix d’or. Ils sont accueillis par des chefs d’État. En 2004 et 2005, le coupe-décalé fait vibrer les pistes de danse à travers toute l’Afrique subsaharienne. Le succès est tel que des artistes renommés comme Meiway, Singuila, Mokobe, Soprano, Kamnouze… s’y intéressent.
Les horizons de son avenir
Le 12 octobre 2006, Douk Saga, l’un des pionniers du coupé-décalé, s’éteint à Ouagadougou, au Burkina Faso. Son départ provoque une onde de choc émotionnelle à travers la Côte d’Ivoire. L’impact se fait sentir bien au-delà, jusqu’en Afrique et dans la diaspora africaine. Les funérailles de Douk Saga à Abidjan deviennent un événement d’importance nationale.
La disparition de Douk Saga s’aligne pratiquement avec l’émergence de la troisième vague des artistes coupé-décalé. Libérés de l’emprise des pionniers, des artistes tels que DJ Lewis, Francky Dicaprio, Mareshal DJ… explorent pleinement leur inspiration.
Le coupé-décalé a évolué vers une direction où l’ostentation est beaucoup moins présente. Ceux qui ont apprécié les débuts de ce genre musical peuvent avoir du mal à le reconnaître. Depuis 2006, le coupé-décalé a donné naissance à de nombreuses variations et dérivés comme le fatigué-fatigué, kpangor, okeninkpin, nongon-nongon… Chaque année, une nouvelle tendance musicale inspirée du coupé-décalé voit le jour. Depuis 2002, pas moins de cent cinquante danses et concepts sont apparus en Côte d’Ivoire, issus de ce mouvement musical.
Aujourd’hui, presque quinze ans après sa naissance, l’avenir du coupé-décalé repose sur ses créateurs encore actifs comme Le Molare, Lino Versace, Borosangui… mais aussi sur le talent et l’originalité des artistes de la nouvelle génération tels que DJ Arafat, Serge Beynaud, Bébi Philip… Cependant, ils ne sont pas les seuls à contribuer à ce genre musical. Des artistes étrangers, notamment nigérians, ont également adopté le coupé-décalé. « Les artistes nigérians réussissent parce qu’ils ont été astucieux. Ils ont su exploiter ce que nous faisions déjà en Côte d’Ivoire. »
Ils ont réussi à intégrer des nuances coupé-décalé à leurs morceaux, explique Freddy Assogba, l’un des deux premiers arrangeurs de ce genre musical avec David Tayorault. Le coupé-décalé à la mode nigériane semble avoir rafraîchi le style, au point que certains artistes ivoiriens adoptent cette version nigériane du coupé-décalé.
Bien que le coupé-décalé se renouvelle et que de nombreux nouveaux concepts émergent autour de lui, la question de sa durabilité devient de plus en plus pressante chaque année. Ce genre musical a-t-il un futur ? Parviendra-t-il à traverser les époques ? Il est difficile de trancher, car depuis sa création, ce rythme oscille perpétuellement entre des phases de succès et d’échecs, voire de médiocrité.
Ces dernières années, des figures emblématiques comme DJ Arafat se sont davantage fait remarquer par leurs controverses et scandales que par leurs œuvres artistiques. Cette situation a engendré une certaine division parmi les artistes du coupé-décalé. Malgré les rivalités, les créateurs de ce genre musical continuent de montrer une grande vitalité dans leurs productions, renouvelant constamment le coupé-décalé grâce à leur créativité.
