Comment le rap français a forgé son identité unique en puisant son inspiration de l’Afrique

Avec l’arrivée de la télévision par satellite en Afrique au début des années 1990 et l’essor d’internet et d’autres technologies quelques décennies plus tard, le hip-hop français a connu un véritable essor sur le marché francophone africain. Importé des États-Unis, ce genre musical a gagné en popularité parmi les jeunes d’origine africaine en France et dans de nombreux autres pays européens. Initialement, le hip-hop français était fortement influencé par son homologue américain, mais au fil du temps, il a commencé à forger sa propre identité et son propre style en s’inspirant du riche patrimoine musical africain.

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Ce texte examine l’impact historique et actuel de l’Afrique sur le hip-hop en Europe, notamment en France.

MC Solaar, l’un des pionniers du rap en France.

1980-1990 : L’émergence du hip-hop en France

Le hip hop trouve ses racines aux États-Unis au début des années 1970. En 1979, « Rapper’s Delight » de Sugarhill Gang devient le premier succès rap à atteindre une renommée mondiale. La France découvre le hip hop au début des années 1980, tout comme le reste du monde. Ce mouvement gagne rapidement en popularité chez les jeunes, notamment dans les quartiers où réside une grande communauté d’immigrés d’origine africaine. Des soirées hip hop underground se multiplient, où les jeunes écoutent du rap et s’initient au breakdance, au DJ’ing et au graffiti.

À l’origine, le hip hop se propageait exclusivement par le biais de petites stations de radio indépendantes connues sous le nom de Radios Libres. Ces stations, ainsi que les soirées hip hop, ont permis aux amateurs de rap de connaître les précurseurs du rap américain comme Afrika Bambaataa, RUN DMC et Grandmaster Flash.

En 1984, la chaîne de télévision française TF1 lance une émission consacrée au hip-hop et au breakdance intitulée H.I.P-H.O.P. Considérée comme la première émission télévisée dédiée au hip-hop en Europe, elle a grandement contribué à populariser ce mouvement underground. À cette période, le rap français n’existait pas encore. Le breakdance était plus en vogue, et les DJ locaux diffusaient exclusivement des artistes américains.

À la fin des années 1980, les premiers groupes de rap français comme NTM, Assassin et Ministère A.M.E.R. ont vu le jour. Ils ont puisé leur inspiration chez des formations américaines telles que Public Enemy et NWA. Leurs textes provocateurs, souvent critiques envers des institutions comme la police, ont trouvé un écho auprès de cette première vague de rappeurs français. Issus majoritairement de quartiers défavorisés, ces artistes ont utilisé le rap comme moyen d’expression pour dénoncer des problèmes tels que le racisme, les violences policières et diverses formes de discrimination. En raison de leurs paroles contestataires, ces premiers groupes ont été mal perçus par les autorités et les médias.

Au début des années 1990, un nouveau courant dans le hip hop émerge. Ce mouvement est moins politisé, plus orienté vers la fête, et s’appuie sur des rimes poétiques ainsi que des jeux de mots élaborés. Le public et les médias l’ont accueilli favorablement. MC Solaar est indéniablement la figure emblématique de ce genre, avec des singles encensés par la critique et désormais considérés comme des classiques du rap français. Parmi eux, on trouve « Bouge de là » et « Caroline » de son premier album Qui sème le vent récolte le Tempo (1991), « Obsolète » (Prose Combat, 1995), « Les temps changent » et « Paradisiaque » (Paradisiaque, 1997). D’autres artistes importants de ce rap plus léger incluent Doc Gyneco, Ménélik et Alliance Ethnik, entre autres.

L’émergence fulgurante de la scène rap locale : la personnalité propre au rap français se dévoile

Vers la fin des années 90, grâce à l’effort des pionniers comme MC Solaar, le hip-hop a été largement accueilli par le public et les médias français. Plusieurs artistes, groupes et maisons de disques comme IAm, La Fonky Family, 3ème Oeil, La Brigade, Mafia K-1 Fry, Saian Supa Crew sont apparus. Des groupes pionniers tels que NTM et Ministère AMER ont réussi à revenir sous les feux de la rampe en adoptant une approche plus commerciale. Par exemple, les membres du Ministère AMER ont fondé une maison de disques appelée Secteur Ä. Cette entreprise a lancé les carrières de nombreux artistes et groupes comme Passi, Stomy Bugsy, Doc Gynéco, Ärsenik, Neg’Marrons, Bisso Na Bisso. Secteur Ä est toujours considéré comme l’un des labels les plus influents de l’histoire du rap français, rassemblant des membres aux origines variées telles que le Sénégal, le Cap-Vert, le Congo et les Antilles.

C’est durant ces années que le hip-hop en France commence à se forger une identité sonore propre. En 1997, une équipe de football composée de joueurs de diverses origines remporte la Coupe du Monde. La France vit alors une période où la diversité est mise à l’honneur et célébrée. Le slogan « Black-Blanc-Beur » incarne parfaitement cet esprit. Cet événement important permet de donner plus de visibilité aux artistes issus de l’immigration, y compris les rappeurs.

Grâce à la diffusion par satellite, les rappeurs français gagnent en popularité sur le continent africain. En 1992, la chaîne musicale française MCM était accessible dans la majorité des pays francophones d’Afrique. En 2003, TRACE TV, une nouvelle chaîne dédiée à la musique urbaine, a vu le jour et a pris la place de MCM. Depuis, Trace TV s’est transformée en un groupe de chaînes spécialisées, centrées sur la musique urbaine, tropicale et africaine. La popularité de ces chaînes en Afrique a joué un rôle crucial dans l’établissement de liens entre les artistes de la diaspora, les musiciens africains et leur public.

Bisso Na Bisso, les pionniers du rap afro

En 1999, plusieurs membres du label Secteur Ä, originaires de Congo-Brazzaville, ont formé un collectif nommé Bisso Na Bisso, ce qui signifie ‘entre nous’ en lingala, une langue parlée dans les deux Congo. Le groupe est composé de Passi, Ben-J, Lino, Calbo, Mystik, Doc, G Kill et M’passi, la seule femme du collectif. Leur album intitulé Racines est un mélange de hip-hop et de rythmes afro-caribéens, incluant la rumba, le soukous et le zouk. Cet album présente des collaborations avec des artistes africains légendaires comme Koffi Olomide, Papa Wemba, Ismael Lo, Lokua Kanza, Manu Dibango et le célèbre groupe de zouk Kassav. Bisso Na Bisso y aborde divers sujets tels que la guerre, l’unité et la solidarité africaine, l’immigration et la double identité biculturelle. L’album a été un énorme succès en France, en Belgique et dans l’ensemble des pays francophones africains. Cette même année, le groupe a remporté trois Kora Awards.

Un autre groupe qui tire son inspiration de ses racines africaines est 113, issu du collectif Mafia K-1 Fry. 113 est formé de Karim (d’origine algérienne), AP (des Antilles françaises) et Mokobé (d’origine malienne). Leur titre ‘Tonton du Bled’ (2000) aborde avec humour les clichés et les stéréotypes liés à leurs origines. La chanson fusionne le rap avec la musique raï. Un autre de leurs singles à succès est «Un Gaou à Oran» en collaboration avec Magic System. Mokobé, l’un des membres du groupe, a sorti les albums solo Mon Afrique (2007) et Africa Forever (2011). Il a travaillé avec de nombreux artistes, dont le Congolais Fally Ipupa et la diva malienne Oumou Sangaré.

Le rap hexagonal au début du nouveau millénaire

Au cours des dix dernières années, l’essor de l’Internet et des technologies modernes a profondément transformé l’industrie musicale et les habitudes de consommation du public. Partout dans le monde, cette industrie fait face à des défis tels que la diminution des ventes d’albums physiques. Le piratage et les questions de droits d’auteur sont également des problèmes résultant de ces nouvelles plateformes. Cependant, ces obstacles s’accompagnent aussi de nouvelles opportunités pour les artistes, notamment une visibilité accrue sur le marché mondial et la possibilité de diffuser des mixtapes ou des singles en ligne au lieu de sortir des albums entiers.

Le hip hop en France a également traversé de nombreuses transformations. De nombreux labels influents du passé ont disparu. La majorité des groupes emblématiques tels que IAM, NTM et le Ministère A.M.E.R ont interrompu leur carrière. Quelques-uns se sont orientés vers d’autres domaines comme la production ou le cinéma.

Durant la première décennie des années 2000, le hip-hop se concentre principalement sur l’individualisme et les egos. Une nouvelle génération de rappeurs émerge sur le devant de la scène. Parmi les figures les plus marquantes de cette époque, on retrouve La Fouine, Rohff et Booba (qui demeure très populaire aujourd’hui). Cette vague de rappeurs adopte le style de vie «bling» et d’autres symboles caractéristiques des rappeurs américains. Cependant, à l’instar de leurs prédécesseurs, leurs racines africaines et les problèmes sociaux qu’ils rencontrent sont également des thèmes récurrents dans leurs morceaux.

De plus, ils ont poursuivi le renforcement de leurs liens avec leurs admirateurs africains. Depuis les années 2000, de nombreux promoteurs en Afrique organisent fréquemment des concerts de rappeurs français à travers tout le continent.

Le rap en France de nos jours

Ces dernières années, depuis environ 2010, le hip-hop français semble entrer dans une nouvelle ère. Grâce aux réseaux sociaux et à Youtube, une nouvelle vague de rappeurs a gagné en popularité. Un fait intéressant à noter est le retour de certaines figures légendaires. Plus tôt en 2017, les rappeurs de Secteur Ä ont donné une série de concerts pour célébrer les 20 ans de leur label et leurs albums solo, ravissant ainsi leurs fans.

Sexion d’Assaut, similaire au Secteur Ä quelques années auparavant, représente l’un des ensembles de hip-hop français les plus influents de ces dernières années, avec un éventail de talents individuels provenant de divers horizons (Mali, Sénégal, RDC, Côte d’Ivoire et Guinée). Ils ont produit de nombreux succès tels que «Désolé», «Avant qu’elle parte» et «Ma direction», entre autres. Leur morceau « Africain » rend hommage à leurs racines africaines. À travers le label Wati B, Sexion d’Assaut a lancé les carrières solo des plus grandes figures actuelles du rap, dont Maître Gims et Black M.

Youssoupha, le fils du célèbre chanteur congolais Tabu Ley, représente un autre talent remarquable de cette génération. Avec des albums emblématiques tels que « A chaque frère » en 2007, « Sur le chemin du retour » en 2009, « Noir D *** » en 2012 et « NGRTD » en 2015, Youssoupha s’est distingué par ses paroles conscientes et poétiques. Il cite MC Solaar, légende du rap français, comme l’une de ses principales sources d’inspiration. En intégrant des sons africains dans sa musique, il explore également son identité culturelle. Dans son single « Les disques de mon père », Youssoupha rend un vibrant hommage à l’héritage musical de son père en remixant le titre « Pitié ». Son père, Tabu Ley, décédé, fait d’ailleurs une apparition remarquée dans le clip de son fils.

Maître Gims, dont le père est également un ancien musicien congolais, Djuna Djanana, est un rappeur reconnu pour son style de rap enrichi de chants puissants. Il a rencontré un immense succès avec ses projets en solo. Son premier album solo, Subliminal, a obtenu le prestigieux statut de disque de diamant en France, dépassant les 100 000 exemplaires vendus. « Sapés comme jamais » (2015), l’un de ses plus grands succès, explore le thème de la Sapologie, un mouvement de mode né à Brazzaville et Kinshasa. La chanson présente une collaboration avec Niska, un rappeur originaire du Congo-Brazza.

Originaire d’une lignée sénégalaise et guinéenne, MHD incarne la toute nouvelle vague du rap, pionnier de l’afro-trap, un style fusionnant la musique trap (une récente tendance du hip-hop originaire du sud des États-Unis). Sa série de huit épisodes « Afro-Trap » sur Youtube a cumulé plus de 80 millions de vues au total. Son premier opus éponyme, « MHD », a trôné en tête des classements français, avec des collaborations avec des artistes africains de renom tels qu’Angélique Kidjo et Fally Ipupa. Parmi les rappeurs notables de cette nouvelle génération, on compte Niska, Kaaris et Gradur.

Finalement, le rap français a cultivé sa propre identité sonore et artistique au fil des années. Cette évolution a été principalement guidée par des artistes qui ont puisé (et continuent de puiser) leur inspiration dans le riche héritage musical africain, créant ainsi des mélodies et des rythmes uniques. De surcroît, en renouant avec leurs origines, les rappeurs français ont su conquérir leur public.

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