La musique populaire en Tunisie : état actuel et perspectives socioculturelles

Le paysage musical en Tunisie se distingue par une grande variété de styles et de formes musicales. La musique populaire, connue sous le nom de chaâbi, occupe une place significative dans l’univers musical tunisien. Sa pratique et sa diffusion concernent diverses catégories sociales et intéressent des personnes de tous âges.

Le chanteur tunisien Salah el Farzit. (Photo) : Facebook/Salah el Farzit.

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Étant donné sa présence dans la majorité des événements festifs, qu’ils soient officiels ou privés, ce genre musical populaire joue un rôle clé dans le développement d’une tendance esthétique particulière. Cette tendance se manifeste clairement par l’intensité de la diffusion médiatique de ce style, ce qui engendre inévitablement un processus d’orientation et de canalisation perceptuelle et esthétique, capable de façonner implicitement les goûts et préférences collectifs.

Dans ce nouveau millénaire, cette tendance se développe considérablement aux dépens d’autres styles considérés comme classiques, en contournant les principes esthétiques distinctifs de la musique tunisienne. Cette expansion est particulièrement stimulée par l’émergence de nouvelles formes de fusion entre le chaâbi et d’autres genres musicaux contemporains tels que le rap et le hip-hop. Ce mouvement a eu des répercussions significatives sur les goûts collectifs de la société et sur les préférences artistiques qui en découlent.

Le chaâbi, patrimoine musical traditionnel de la Tunisie

Dans ses formes urbaines et rurales, le chaâbi est profondément ancré dans la mémoire, la réalité et la sensibilité collective de la société tunisienne. Ce genre, issu de la tradition musicale orale et du patrimoine populaire, a néanmoins été interdit pendant de nombreuses décennies. Durant cette période, les produits culturels étaient fortement influencés par les orientations officielles, favorisant la musique tunisienne classique, également appelée savante. Une stratégie politique a été mise en œuvre et strictement appliquée pour maintenir dans l’ombre la réalité artistique d’un style musical omniprésent.

D’autre part, le chaâbi a longtemps été victime de discriminations de la part de l’élite artistique, une classe sociale qui considérait cette musique comme une forme d’art mineure, une sous-culture des bas-fonds, incapable de se hisser au niveau de la musique classique et aristocratique. Cette dévalorisation est probablement liée aux conditions mêmes de son développement. En effet, ce répertoire possède presque exclusivement des origines rurales. Il se distingue par des structures modales, rythmiques et techniques spécifiques, avec des particularités vocales, intonatives et prosodiques, ainsi que des figures poétiques qui lui sont propres. Ces caractéristiques distinctives du genre ne sont pas familières à la classe prétendument « civilisée » de la société tunisienne, pour qui ce style demeure inacceptable, de bas niveau et ironique.

Par la suite, avec l’augmentation de l’exode rural des jeunes vers les grandes métropoles en quête d’emplois, le chaâbi commence progressivement à s’adapter à l’environnement socio-artistique urbain. Ce genre musical se concentre alors dans les quartiers périphériques et défavorisés de la capitale et des grandes villes. Dans ces lieux, vit une classe sociale pauvre, génératrice d’une sous-culture marquée par la déviance et la marginalité. La réalité sociale et culturelle de ces communautés a profondément influencé la substance et le contenu du chaâbi, produisant des chansons qui expriment le malheur, la détresse, le désespoir, mêlés à des images de violence, de défiance envers la loi et de vengeance contre l’état.

Le développement commercial du chaâbi

Alors que l’industrie des cassettes commence à croître au début des années 1980, une stratégie de production privée voit le jour et commence à dominer le marché de l’industrie artistique et musicale. Le chaâbi trouve désormais des moyens de se diffuser par les canaux médiatiques radiophoniques.

Les vedettes de la chanson populaire rencontrent un succès instantané auprès du large public grâce à la multiplication des publications de leurs morceaux et à la compétition acharnée entre les entreprises médiatiques et le marché associé. L’essor et la popularité du chaâbi sont dus à des facteurs économiques et commerciaux, principalement liés à l’industrialisation des produits culturels, lesquels commencent à s’intégrer dans la logique du marché de consommation et à se conformer aux exigences qui en découlent.

À partir des années 1990, le chaâbi gagne une reconnaissance artistique, accédant ainsi à une certaine autorité et bénéficiant d’une reconnaissance officielle. Ce genre musical, longtemps cantonné à la tradition orale, se distingue désormais comme un corpus vaste, riche et fécond. Il devient également un sujet d’étude scientifique majeur, attirant l’attention des musicologues, anthropologues, sociologues et acteurs culturels. Cet intérêt renouvelé, bien que tardif, émerge en Tunisie grâce à une double prise de conscience parmi les chercheurs : d’une part, la richesse et la diversité du patrimoine musical populaire tunisien, et d’autre part, la nécessité de s’aligner sur les nouvelles orientations mondiales en matière de recherche culturelle.

Cela dit, il est crucial de souligner qu’un des événements artistiques marquants qui a profondément changé le statut social et esthétique du chaâbi est la Nouba. Ce projet musico-chorégraphique d’envergure, initié au début des années 1990 par Fadhel El Jaziri et Samir Aghrebi, a réuni et présenté de manière unique les différents genres du patrimoine musical des bédouins ruraux et urbains, tant au niveau des arrangements musicaux que sur le plan scénique.

Des artistes de Mezwed tels que Salah el Farzit, Hédi Habbouba et Abdelkarim Fitouri, parmi d’autres, ont acquis une grande renommée dans les pays du Grand Maghreb (Maroc, Algérie, Libye) ainsi qu’en Europe. Ces célébrités du mezwed incarnaient à cette époque le succès extraordinaire, leur permettant d’atteindre une notoriété et une reconnaissance officielle.

Le mezwed, un autre genre musical très apprécié en Tunisie.

Parmi les différentes variantes de la musique populaire tunisienne, le mezwed (cornemuse) se distingue nettement. Bien que sa reconnaissance officielle n’ait commencé qu’au cours des années 1990, le mezwed demeure extrêmement populaire dans la société tunisienne et représente l’un des genres musicaux les plus symboliques et emblématiques de la musique populaire de ce pays.

Son application et sa propagation ont joué un rôle clé dans l’initiation d’un processus de socialisation, par lequel se construit l’identité culturelle et musicale de la Tunisie. L’auditoire du mezwed ne se restreint plus à une seule communauté sociale. Nous observons une diversification qui s’étend de manière plus prononcée à travers toutes les strates de la société. La majorité de ces classes sociales montrent de plus en plus de sympathie, de tolérance et un intérêt grandissant envers ce genre musical.

Grâce à son répertoire spécifique en évolution convergente et indéniable, le mezwed continue de susciter chez son public des émotions de tendresse et d’admiration, et parfois même des formes de connexion spirituelle. En effet, il serait difficile de nier les liens étroits entre ce style et un saint (waliye salah), où sont entonnés des chants tels que ceux de Sidi Ali Azzûz et de Lilla Mannûbiyya. De plus, le mezwed est particulièrement pratiqué dans des contextes festifs de divertissement, d’animation et de préservation de la mémoire.

Souvent perçus comme des experts de l’oralité, la majorité des interprètes de mezwed n’ont pas été formés dans le cadre académique de la musique ou de la musicologie. Pourtant, ils démontrent une connaissance vaste et profonde des rythmes et des modes caractéristiques du répertoire musical « bédouin », des modes « aroubi », ainsi que d’une grande partie du répertoire musical du « malouf taklidi ».

À notre époque numérique où les médias sociaux prolifèrent, le mezwed gagne en popularité nationale et internationale grâce à des innovations dans sa conception et des styles d’arrangement modernes. Il s’adapte aux évolutions techniques et esthétiques de notre société et cherche à répondre à la demande du marché artistique. Il s’intègre dans divers genres musicaux, devenant un choix esthétique incontournable avec ses sonorités, mélodies et techniques de jeu. Des projets novateurs menés par une nouvelle génération d’artistes Hip-Hop rencontrent un vif succès et captivent un large public.

De nouvelles tendances émergent rapidement dans le paysage musical tunisien, largement influencées par la vague mondiale de la musique électronique. Une nouvelle industrie se développe, où l’on observe une transition d’un style musical « commercial » innovant vers une richesse nouvelle et encore inexplorée. Cela se traduit par des formes et des styles apparemment hybrides (comme le rap et le hip-hop tunisien), qui intègrent le mezwed dans leur conception même. Un mélange synthétique, imprégné d’identités culturelles, se manifeste dans le paysage musical. Les chansons qui en résultent continuent de susciter de nouvelles pratiques musicales typiques, couvrant désormais un large éventail d’utilisations musicales, auxquelles le public s’est peu à peu adapté et familiarisé.

Yvan Gastaut, dans son article inaugural intitulé « Introduction au dossier : Musiques et sociétés », dans l’Année du Maghreb, offre une perspective captivante sur l’interaction dynamique entre les expressions musicales et les tissus sociaux de la région.

Al-SNŪSĪ, Manūbī (2004) : Introduction à la mélodie tunisienne, Institut des Sons Arabes et Méditerranéens, tome 1, Tunis, Ennejma Ezzahra, 154 pages.

Sādeq al-Rezguī (1967) : Les Mélodies Tunisiennes, première édition, éditions tunisiennes, Tunis, 460 pages.

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